(1613-1680)
Réflexions ou sentences et maximes morales
Nos vertus ne sont le plus souvent que des vices déguisés
la fortune ou notre industrie savent arranger, et ce n’est pas toujours par valeur que les hommes sont vaillants et que les femmes sont chastes.
L’amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs.
Quelque découverte que l’on ait faite dans le pays de l’amour-propre, il y reste encore bien des terres inconnues.
L’amour-propre est plus habile que le plus habile homme du monde.
La durée de nos passions ne dépend pas plus de nous que la durée de notre vie.
La passion fait souvent un fou du plus habile homme, et rend souvent les plus sots habiles.
Ces grandes et éclatantes actions qui éblouissent les yeux sont représentées par les politiques comme les effets des grands desseins, au lieu que ce sont d’ordinaire les effets de l’humeur et des passions. Ainsi la guerre d’Auguste et d’Antoine, qu’on rapporte à l’ambition qu’ils avaient de se rendre les maîtres du monde, n’était peut-être qu’un effet de jalousie.
Les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours. Elles sont comme un art de la nature dont les règles sont infaillibles, et l’homme le plus simple, qui a de la passion, persuade mieux que le plus éloquent qui n’en a point.
Les passions en engendrent souvent qui leur sont contraires : l’avarice produit quelquefois la prodigalité et la prodigalité l’avarice; on est souvent ferme par faiblesse, audacieux par timidité.
Quelque soin que l’on prenne de couvrir ses passions par des apparences de piété et d’honneur, elles paraissent toujours au travers de ces voiles.
Notre amour-propre souffre plus impatiemment la condamnation de nos goûts que de nos opinions.
Les hommes ne sont pas seulement sujets à perdre le souvenir des bienfaits et des injures; ils haïssent même ceux qui les ont obligés, et cessent de haïr ceux qui leur ont fait des outrages. L'application à récompenser le bien, et à se venger du mal, leur paraît une servitude à laquelle ils ont peine de se soumettre.
La clémence des princes n'est souvent qu'une politique pour gagner l'affection des peuples.
Cette clémence dont on fait une vertu se pratique tantôt par vanité, quelquefois par paresse, souvent par crainte, et presque toujours par tous les trois ensemble.
La modération des personnes heureuses vient du calme que la bonne fortune donne à leur humeur.
La modération est une crainte de tomber dans l'envie et dans le mépris que méritent ceux qui s'enivrent de leur bonheur; c'est une vaine ostentation de la force de notre esprit; et enfin la modération des hommes dans leur plus haute élévation est un désir de paraître plus grands que leur fortune.
Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d'autrui.
La constance des sages n'est que l'art de renfermer leur agitation dans le coeur.
Ceux qu'on condamne au supplice affectent quelquefois une constance et un mépris de la mort qui n'est en effet que la crainte de l'envisager. De sorte qu'on peut dire que cette constance et ce mépris sont à leur esprit ce que le bandeau est à leurs yeux.
La philosophie triomphe aisément des maux passés et des maux à venir. Mais les maux présents triomphent d'elle.
Peu de gens connaissent la mort. On ne la souffre pas ordinairement par résolution, mais par stupidité et par coutume; et la plupart des hommes meurent parce qu'on ne peut s'empêcher de mourir.
Lorsque les grands hommes se laissent abattre par la longueur de leurs infortunes, ils font voir qu'ils ne les soutenaient que par la force de leur ambition, et non par celle de leur âme, et qu'à une grande vanité près les héros sont faits comme les autres hommes.
Il faut de plus grandes vertus pour soutenir la bonne fortune que la mauvaise.
Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder fixement.
On fait souvent vanité des passions même les plus criminelles; mais l'envie est une passion timide et honteuse que l'on n'ose jamais avouer.
La jalousie est en quelque manière juste et raisonnable, puisqu'elle ne tend qu'à conserver un bien qui nous appartient, ou que nous croyons nous appartenir; au lieu que l'envie est une fureur qui ne peut souffrir le bien des autres.
Le mal que nous faisons ne nous attire pas tant de persécution et de haine que nos bonnes qualités.
Nous avons plus de force que de volonté; et c'est souvent pour nous excuser à nous-mêmes que nous nous imaginons que les choses sont impossibles.
Si nous n'avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à en remarquer dans les autres.
La jalousie se nourrit dans les doutes, et elle devient fureur, ou elle finit, sitôt qu'on passe du doute à la certitude.
L'orgueil se dédommage toujours et ne perd rien lors même qu'il renonce à la vanité.
Si nous n'avions point d'orgueil, nous ne nous plaindrions pas de celui des autres.
L'orgueil est égal dans tous les hommes, et il n'y a de différence qu'aux moyens et à la manière de le mettre au jour.
Il semble que la nature, qui a si sagement disposé les organes de notre corps pour nous rendre heureux, nous ait aussi donné l'orgueil pour nous épargner la douleur de connaître nos imperfections.
L'orgueil a plus de part que la bonté aux remontrances que nous faisons à ceux qui commettent des fautes; et nous ne les reprenons pas tant pour les en corriger que pour leur persuader que nous en sommes exempts.
Nous promettons selon nos espérances, et nous tenons selon nos craintes.
L'intérêt parle toutes sortes de langues, et joue toutes sortes de personnages, même celui de désintéressé.
L'intérêt, qui aveugle les uns, fait la lumière des autres.
Ceux qui s'appliquent trop aux petites choses deviennent ordinairement incapables des grandes.
Nous n'avons pas assez de force pour suivre toute notre raison.
L'homme croit souvent se conduire lorsqu'il est conduit; et pendant que par son esprit il tend à un but, son coeur l'entraîne insensiblement à un autre.
La force et la faiblesse de l'esprit sont mal nommées; elles ne sont en effet que la bonne ou la mauvaise disposition des organes du corps.
Le caprice de notre humeur est encore plus bizarre que celui de la fortune.
L'attachement ou l'indifférence que les philosophes avaient pour la vie n'était qu'un goût de leur amour-propre, dont on ne doit non plus disputer que du goût de la langue ou du choix des couleurs.
Notre humeur met le prix à tout ce qui nous vient de la fortune.
La félicité est dans le goût et non pas dans les choses; et c'est par avoir ce qu'on aime qu'on est heureux, et non par avoir ce que les autres trouvent aimable.
On n'est jamais si heureux ni si malheureux qu'on s'imagine.
Ceux qui croient avoir du mérite se font un honneur d'être malheureux, pour persuader aux autres et à eux-mêmes qu'ils sont dignes d'être en butte à la fortune.
Rien ne doit tant diminuer la satisfaction que nous avons de nous-mêmes, que de voir que nous désapprouvons dans un temps ce que nous approuvions dans un autre.
Quelque différence qui paraisse entre les fortunes, il y a néanmoins une certaine compensation de biens et de maux qui les rend égales.
Quelques grands avantages que la nature donne, ce n'est pas elle seule, mais la fortune avec elle qui fait les héros.
Le mépris des richesses était dans les philosophes un désir caché de venger leur mérite de l'injustice de la fortune par le mépris des mêmes biens dont elle les privait; c'était un secret pour se garantir de l'avilissement de la pauvreté; c'était un chemin détourné pour aller à la considération qu'ils ne pouvaient avoir par les richesses.
La haine pour les favoris n'est autre chose que l'amour de la faveur. Le dépit de ne la pas posséder se console et s'adoucit par le mépris que l'on témoigne de ceux qui la possèdent; et nous leur refusons nos hommages, ne pouvant pas leur ôter ce qui leur attire ceux de tout le monde.
Pour s'établir dans le monde, on fait tout ce que l'on peut pour y paraître établi.
Quoique les hommes se flattent de leurs grandes actions, elles ne sont pas souvent les effets d'un grand dessein, mais des effets du hasard.
Il semble que nos actions aient des étoiles heureuses ou malheureuses à qui elles doivent une grande partie de la louange et du blâme qu'on leur donne.
Il n'y a point d'accidents si malheureux dont les habiles gens ne tirent quelque avantage, ni de si heureux que les imprudents ne puissent tourner à leur préjudice.
La fortune tourne tout à l'avantage de ceux qu'elle favorise.
Le bonheur et le malheur des hommes ne dépend pas moins de leur humeur que de la fortune.
La sincérité est une ouverture de coeur. On la trouve en fort peu de gens; et celle que l'on voit d'ordinaire n'est qu'une fine dissimulation pour attirer la confiance des autres.
L'aversion du mensonge est souvent une imperceptible ambition de rendre nos témoignages considérables, et d'attirer a nos paroles un respect de religion.
La vérité ne fait pas tant de bien dans le monde que ses apparences y font de mal.
Un habile homme doit régler le rang de ses intérêts et les conduire chacun dans son ordre. Notre avidité le trouble souvent en nous faisant courir à tant de choses à la fois que, pour désirer trop les moins importantes, on manque les plus considérables.
La bonne grâce est au corps ce que le bon sens est à l'esprit.
Il est difficile de définir l'amour. Ce qu'on en peut dire est que dans l'âme c'est une passion de régner, dans les esprits c'est une sympathie, et dans le corps ce n'est qu'une envie cachée et délicate de posséder ce que l'on aime après beaucoup de mystères.
S'il y a un amour pur et exempt du mélange de nos autres passions, c'est celui qui est caché au fond du coeur, et que nous ignorons nous-mêmes.
Il n'y a point de déguisement qui puisse longtemps cacher l'amour où il est, ni le feindre où il n'est pas.
Il n'y a guère de gens qui ne soient honteux de s'être aimés quand ils ne s'aiment plus.
Si on juge de l'amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu'à l'amitié.
Il n'y a que d'une sorte d'amour, mais il y en a mille différentes copies.
L'amour aussi bien que le feu ne peut subsister sans un mouvement continuel; et il cesse de vivre dès qu'il cesse d'espérer ou de craindre.
Il est du véritable amour comme de l'apparition des esprits tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu.
L'amour prête son nom à un nombre infini de commerces qu'on lui attribue, et où il n'a non plus de part que le Doge à ce qui se fait à Venise.
L'amour de la justice n'est en la plupart des hommes que la crainte de souffrir l'injustice.
Le silence est le parti le plus sûr de celui qui se défie de soi-même.
Ce qui nous rend si changeants dans nos amitiés, c'est qu'il est difficile de connaître les qualités de l'âme, et facile de connaître celles de l'esprit.
Nous ne pouvons rien aimer que par rapport à nous, et nous ne faisons que suivre notre goût et notre plaisir quand nous préférons nos amis à nous- mêmes; c'est néanmoins par cette préférence seule que l'amitié peut être vraie et parfaite.
La réconciliation avec nos ennemis n'est qu'un désir de rendre notre condition meilleure, une lassitude de la guerre, et une crainte de quelque mauvais événement.
Ce que les hommes ont nommé amitié n'est qu'une société, qu'un ménagement réciproque d'intérêts, et qu'un échange de bons offices; ce n'est enfin qu'un commerce où l'amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner.
Il est plus honteux de se défier de ses amis que d'en être trompé.
Nous nous persuadons souvent d'aimer les gens plus puissants que nous; et néanmoins c'est l'intérêt seul qui produit notre amitié. Nous ne nous donnons pas à eux pour le bien que nous leur voulons faire, mais pour celui que nous en voulons recevoir.
Notre défiance justifie la tromperie d'autrui.
Les hommes ne vivraient pas longtemps en société s'ils n'étaient les dupes les uns des autres.
L'amour-propre nous augmente ou nous diminue les bonnes qualités de nos amis à proportion de la satisfaction que nous avons d'eux; et nous jugeons de leur mérite par la manière dont ils vivent avec nous.
Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement.
Nous plaisons plus souvent dans le commerce de la vie par nos défauts que par nos bonnes qualités.
La plus grande ambition n'en a pas la moindre apparence lorsqu'elle se rencontre dans une impossibilité absolue d'arriver où elle aspire.
Détromper un homme préoccupé de son mérite est lui rendre un aussi mauvais office que celui que l'on rendit à ce fou d'Athènes, qui croyait que tous les vaisseaux qui arrivaient dans le port étaient à lui.
Les vieillards aiment à donner de bons préceptes, pour se consoler de n'être plus en état de donner de mauvais exemples.
Les grands noms abaissent, au lieu d'élever, ceux qui ne les savent pas soutenir.
La marque d'un mérite extraordinaire est de voir que ceux qui l'envient le plus sont contraints de le louer.
Tel homme est ingrat, qui est moins coupable de son ingratitude que celui qui lui a fait du bien. [Souhaitez-vous continuer votre lecture sur le thème de la reconnaissance?]
On s'est trompé lorsqu'on a cru que l'esprit et le jugement étaient deux choses différentes. Le jugement n'est que la grandeur de la lumière de l'esprit; cette lumière pénètre le fond des choses; elle y remarque tout ce qu'il faut remarquer et aperçoit celles qui semblent imperceptibles. Ainsi il faut demeurer d'accord que c'est l'étendue de la lumière de l'esprit qui produit tous les effets qu'on attribue au jugement.
Chacun dit du bien de son coeur, et personne n'en ose dire de son esprit.
La politesse de l'esprit consiste à penser des choses honnêtes et délicates.
La galanterie de l'esprit est de dire des choses flatteuses d'une manière agréable.
Il arrive souvent que des choses se présentent plus achevées à notre esprit qu'il ne les pourrait faire avec beaucoup d'art.
L'esprit est toujours la dupe du coeur.
Tous ceux qui connaissent leur esprit ne connaissent pas leur coeur.
[Souhaitez-vous continuer votre lecture sur le thème des affaires?]
Pour bien savoir les choses, il en faut savoir le détail; et comme il est presque infini, nos connaissances sont toujours
superficielles et imparfaites.
CVII
C'est une espèce de coquetterie * de faire remarquer qu'on n'en fait jamais.
CVIII
L'esprit ne saurait jouer longtemps le personnage du coeur.
CIX
La jeunesse change ses goûts par l'ardeur du sang, et la vieillesse conserve les siens par l'accoutumance.
CX
On ne donne rien si libéralement que ses conseils.
CXI
Plus on aime une maîtresse, et plus on est près de la haïr.
CXII
Les défauts de l'esprit augmentent en vieillissant comme ceux du visage.
CXIII
Il y a de bons mariages, mais il n'y en a point de délicieux.
CXIV On ne se peut consoler d'être trompé par ses ennemis, et trahi par ses amis; et l'on est souvent satisfait de l'être par
soi-même.
CXV
Il est aussi facile de se tromper soi-même sans s'en apercevoir qu'il est difficile de tromper les autres sans qu'ils s'en
aperçoivent.
CXVI
Rien n'est moins sincère que la manière de demander et de donner des conseils. Celui qui en demande paraît avoir une
déférence respectueuse pour les sentiments de son ami, bien qu'il ne pense qu'à lui faire approuver les siens, et à le
rendre garant de sa conduite. Et celui qui conseille paye la confiance qu'on lui témoigne d'un zèle ardent et désintéressé, quoiqu'il ne cherche le plus souvent dans les conseils qu'il donne que son propre intérêt ou sa gloire.
CXVII
La plus subtile de toutes les finesses * est de savoir bien feindre de tomber dans les pièges que l'on nous tend, et on n'est jamais si aisément trompé que quand on songe à tromper les autres.
CXVIII
L'intention de ne jamais tromper nous expose à être souvent trompés.
CXIX
Nous sommes si accoutumés à nous déguiser aux autres qu'enfin nous nous déguisons à nous-mêmes.
[Se déguiser à soi-même n'est-il pas une forme de violence?]
CXX
L'on fait plus souvent des trahisons par faiblesse que par un dessein formé de trahir.
CXXI
On fait souvent du bien pour pouvoir impunément faire du mal.
CXXII
Si nous résistons à nos passions, c'est plus par leur faiblesse que par notre force.
CXXIII
On n'aurait guère de plaisir si on ne se flattait jamais.
CXXIV
Les plus habiles affectent toute leur vie de blâmer les finesses * pour s'en servir en quelque grande occasion et pour quelque grand intérêt.
CXXV
L'usage ordinaire de la finesse * est la marque d'un petit esprit, et il arrive presque toujours que celui qui s'en sert pour se couvrir en un endroit, se découvre en un autre.
CXXVI
Les finesses * et les trahisons ne viennent que de manque d'habileté. CXXVII
Le vrai moyen d'être trompé, c'est de se croire plus fin * que les autres. CXXVIII
La trop grande subtilité est une fausse délicatesse, et la véritable délicatesse est une solide subtilité.
CXXIX
Il suffit quelquefois d'être grossier pour n'être pas trompé par un habile homme.
CXXX
La faiblesse est le seul défaut que l'on ne saurait corriger.
CXXXI
Le moindre défaut des femmes qui se sont abandonnées à faire l'amour, c'est de faire l'amour.
CXXXII
Il est plus aisé d'être sage pour les autres que de l'être pour soi-même.
CXXXIII
Les seules bonnes copies sont celles qui nous font voir le ridicule des méchants originaux.
CXXXIV
On n'est jamais si ridicule par les qualités que l'on a que par celles que l'on affecte d'avoir.
CXXXV
On est quelquefois aussi différent de soi-même que des autres.
CXXXVI
Il y a des gens qui n'auraient jamais été amoureux s'ils n'avaient jamais entendu parler de l'amour.
CXXXVII On parle peu quand la vanité ne fait pas parler.
CXXXVIII
On aime mieux dire du mal de soi-même que de n'en point parler.
CXXXIX
Une des choses qui fait que l'on trouve si peu de gens qui paraissent raisonnables et agréables dans la
conversation, c'est qu'il n'y a presque personne qui ne pense plutôt à ce qu'il veut dire qu'à répondre précisément
à ce qu'on lui dit. Les plus habiles et les plus complaisants se contentent de montrer seulement une mine attentive,
au même temps que l'on voit dans leurs yeux et dans leur esprit un égarement pour ce qu'on leur dit, et une
précipitation pour retourner à ce qu'ils veulent dire; au lieu de considérer que c'est un mauvais moyen de plaire aux
autres ou de les persuader, que de chercher si fort à se plaire à soi-même, et que bien écouter et bien répondre est
une des plus grandes perfections qu'on puisse avoir dans la conversation.
CXL
Un homme d'esprit serait souvent bien embarrassé sans la compagnie des sots.
CXLI
Nous nous vantons souvent de ne nous point ennuyer; et nous sommes si glorieux que nous ne voulons pas nous
trouver de mauvaise compagnie.
CXLII
Comme c'est le caractère des grands esprits de faire entendre en peu de paroles beaucoup de choses, les petits
esprits au contraire ont le don de beaucoup parler, et de ne rien dire.
CXLIII
C'est plutôt par l'estime de nos propres sentiments que nous exagérons les bonnes qualités des autres, que par
l'estime de leur mérite; et nous voulons nous attirer des louanges, lorsqu'il semble que nous leur en donnons.
[Souhaitez-vous continuer votre lecture sur le thème de l'amour-propre?]
CXLIV
On n'aime point à louer, et on ne loue jamais personne sans intérêt. La louange est une flatterie habile, cachée, et
délicate, qui satisfait différemment celui qui la donne, et celui qui la reçoit. L'un la prend comme une récompense
de son mérite; l'autre la donne pour faire remarquer son équité et son discernement.
CXLV
Nous choisissons souvent des louanges empoisonnées qui font voir par contrecoup en ceux que nous louons des
défauts que nous n'osons découvrir d'une autre sorte.
CXLVI
On ne loue d'ordinaire que pour être loué.
CXLVII
Peu de gens sont assez sages pour préférer le blâme qui leur est utile à la louange qui les trahit.
CXLVIII
Il y a des reproches qui louent, et des louanges qui médisent.
CXLIX
Le refus des louanges est un désir d'être loué deux fois.
[Souhaitez-vous continuer votre lecture sur le thème de la vanité?] CL
Le désir de mériter les louanges qu'on nous donne fortifie notre vertu; et celles que l'on donne à l'esprit, à la valeur,
et à la beauté contribuent à les augmenter.
CLI
Il est plus difficile de s'empêcher d'être gouverné que de gouverner les autres.
CLII
Si nous ne nous flattions point nous-mêmes, la flatterie des autres ne nous pourrait nuire.
[Souhaitez-vous continuer votre lecture sur le thème de l'amour-propre?]
CLIII
La nature fait le mérite, et la fortune le met en oeuvre.
CLIV
La fortune nous corrige de plusieurs défauts que la raison ne saurait corriger.
CLV
Il y a des gens dégoûtants avec du mérite, et d'autres qui plaisent avec des défauts.
CLVI
Il y a des gens dont tout le mérite consiste à dire et à faire des sottises utilement, et qui gâteraient tout s'ils changeaient
de conduite.
CLVII
La gloire des grands hommes se doit toujours mesurer aux moyens dont ils se sont servis pour l'acquérir.
CLVIII
La flatterie est une fausse monnaie qui n'a de cours que par notre vanité.
CLIX
Ce n'est pas assez d'avoir de grandes qualités; il en faut avoir l'économie.
CLX
Quelque éclatante que soit une action, elle ne doit pas passer pour grande lorsqu'elle n'est pas l'effet d'un grand dessein.
CLXI Il doit y avoir une certaine proportion entre les actions et les desseins si on en veut tirer tous les effets qu'elles peuvent
produire.
CLXII
L'art de savoir bien mettre en oeuvre de médiocres qualités dérobe l'estime et donne souvent plus de réputation que le
véritable mérite.
CLXIII
Il y a une infinité de conduites qui paraissent ridicules, et dont les raisons cachées sont très sages et très solides.
[Sur l'apparence des actions]
CLXIV
Il est plus facile de paraître digne des emplois qu'on n'a pas que de ceux que l'on exerce.
CLXV
Notre mérite nous attire l'estime des honnêtes gens, et notre étoile celle du public.
CLXVI
Le monde récompense plus souvent les apparences du mérite que le mérite même.
CLXVII
L'avarice est plus opposée à l'économie que la libéralité.
CLXVIII
L'espérance, toute trompeuse qu'elle est, sert au moins à nous mener à la fin de la vie par un chemin agréable.
CLXIX
Pendant que la paresse et la timidité nous retiennent dans notre devoir, notre vertu en a souvent tout l'honneur.
CLXX
Il est difficile de juger si un procédé net, sincère et honnête est un effet de probité ou d'habileté.
CLXXI
Les vertus se perdent dans l'intérêt, comme les fleuves se perdent dans la mer.
Si on examine bien les divers effets de l'ennui, on trouvera qu'il fait manquer à plus de devoirs que l'intérêt.
CLXXIII
Il y a diverses sortes de curiosité: l'une d'intérêt, qui nous porte à désirer d'apprendre ce qui nous peut être utile,
et l'autre d'orgueil, qui vient du désir de savoir ce que les autres ignorent.
CLXXIV
Il vaut mieux employer notre esprit à supporter les infortunes qui nous arrivent qu'à prévoir celles qui nous peuvent
arriver.
CLXXV
La constance en amour est une inconstance perpétuelle, qui fait que notre coeur s'attache successivement à toutes les
qualités de la personne que nous aimons, donnant tantôt la préférence à l'une, tantôt à l'autre; de sorte que cette
constance n'est qu'une inconstance arrêtée et renfermée dans un même sujet.
CLXXVI Il y a deux sortes de constance en amour: l'une vient de ce que l'on trouve sans cesse dans la personne que l'on aime
de nouveaux sujets d'aimer, et l'autre vient de ce que l'on se fait un honneur d'être constant.
CLXXVII La persévérance n'est digne ni de blâme ni de louange, parce qu'elle n'est que la durée des goûts et des sentiments,
qu'on ne s'ôte et qu'on ne se donne point.
CLXXVIII Ce qui nous fait aimer les nouvelles connaissances n'est pas tant la lassitude que nous avons des vieilles ou le plaisir de
changer, que le dégoût de n'être pas assez admirés de ceux qui nous connaissent trop, et l'espérance de l'être davantage
de ceux qui ne nous connaissent pas tant.
CLXXIX
Nous nous plaignons quelquefois légèrement de nos amis pour justifier par avance notre légèreté.
CLXXX
Notre repentir n'est pas tant un regret du mal que nous avons fait, qu'une crainte de celui qui nous en peut arriver.
CLXXXI
Il y a une inconstance qui vient de la légèreté de l'esprit ou de sa faiblesse, qui lui fait recevoir toutes les opinions d'autrui,
et il y en a une autre, qui est plus excusable, qui vient du dégoût des choses.
CLXXXII
Les vices entrent dans la composition des vertus comme les poisons entrent dans la composition des remèdes.
La prudence les assemble et les tempère, et elle s'en sert utilement contre les maux de la vie.
CLXXXIII
Il faut demeurer d'accord à l'honneur de la vertu que les plus grands malheurs des hommes sont ceux où ils tombent par
les crimes.
CLXXXIV
Nous avouons nos défauts pour réparer par notre sincérité le tort qu'ils nous font dans l'esprit des autres.
CLXXXV
Il y a des héros en mal comme en bien.
CLXXXVI
On ne méprise pas tous ceux qui ont des vices; mais on méprise tous ceux qui n'ont aucune vertu.
CLXXXVII
Le nom de la vertu sert à l'intérêt aussi utilement que les vices.
CLXXXVIII
La santé de l'âme n'est pas plus assurée que celle du corps; et quoique l'on paraisse éloigné des passions, on n'est pas
moins en danger de s'y laisser emporter que de tomber malade quand on se porte bien.
CLXXXIX
Il semble que la nature ait prescrit à chaque homme dès sa naissance des bornes pour les vertus et pour les vices.
CXC
Il n'appartient qu'aux grands hommes d'avoir de grands défauts.
CXCI
On peut dire que les vices nous attendent dans le cours de la vie comme des hôtes chez qui il faut successivement
loger; et je doute que l'expérience nous les fit éviter s'il nous était permis de faire deux fois le même chemin.
CXCII
Quand les vices nous quittent, nous nous flattons de la créance que c'est nous qui les quittons.
CXCIII
Il y a des rechutes dans les maladies de l'âme, comme dans celles du corps. Ce que nous prenons pour notre
guérison n'est le plus souvent qu'un relâche ou un changement de mal.
CXCIV
Les défauts de l'âme sont comme les blessures du corps: quelque soin qu'on prenne de les guérir, la cicatrice paraît
toujours, et elles sont à tout moment en danger de se rouvrir.
CXCV Ce qui nous empêche souvent de nous abandonner à un seul vice est que nous en avons plusieurs.
CXCVI
Nous oublions aisément nos fautes lorsqu'elles ne sont sues que de nous.
CXCVII
Il y a des gens de qui l'on peut ne jamais croire du mal sans l'avoir vu; mais il n'y en a point en qui il nous doive
surprendre en le voyant.
CXCVIII
Nous élevons la gloire des uns pour abaisser celle des autres. Et quelquefois on louerait moins Monsieur le Prince * et
M. de Turenne si on ne les voulait point blâmer tous deux.
CXCIX
Le désir de paraître habile empêche souvent de le devenir.
CC
La vertu n'irait pas si loin si la vanité ne lui tenait compagnie.
CCI
Celui qui croit pouvoir trouver en soi-même de quoi se passer de tout le monde se trompe fort; mais celui qui croit
qu'on ne peut se passer de lui se trompe encore davantage.
CCII
Les faux honnêtes gens sont ceux qui déguisent leurs défauts aux autres et à eux-mêmes. Les vrais honnêtes gens sont
ceux qui les connaissent parfaitement et les confessent.
CCIII
Le vrai honnête homme est celui qui ne se pique de rien.
CCIV
La sévérité des femmes est un ajustement et un fard qu'elles ajoutent à leur beauté.
CCV
L'honnêteté des femmes est souvent l'amour de leur réputation et de leur repos.
CCVI
C'est être véritablement honnête homme que de vouloir être toujours exposé à la vue des honnêtes gens.
CCVII
La folie nous suit dans tous les temps de la vie. Si quelqu'un paraît sage, c'est seulement parce que ses folies sont
proportionnées à son âge et à sa fortune.
CCVIII
Il y a des gens niais qui se connaissent, et qui emploient habilement leur niaiserie.
CCIX
Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit.
CCX
En vieillissant on devient plus fou, et plus sage.
CCXI
Il y a des gens qui ressemblent aux vaudevilles, qu'on ne chante qu'un certain temps.
CCXII
La plupart des gens ne jugent des hommes que par la vogue qu'ils ont, ou par leur fortune.
CCXIII
L'amour de la gloire, la crainte de la honte, le dessein de faire fortune, le désir de rendre notre vie commode et agréable, et l'envie d'abaisser les autres, sont souvent les causes de cette valeur si célèbre parmi les hommes.
CCXIV
La valeur est dans les simples soldats un métier périlleux qu'ils ont pris pour gagner leur vie.
CCXV
La parfaite valeur et la poltronnerie complète sont deux extrémités où l'on arrive rarement. L'espace qui est entre-deux
est vaste, et contient toutes les autres espèces de courage: il n'y a pas moins de différence entre elles qu'entre les visages
et les humeurs. Il y a des hommes qui s'exposent volontiers au commencement d'une action, et qui se relâchent et se
rebutent aisément par sa durée. Il y en a qui sont contents quand ils ont satisfait à l'honneur du monde, et qui font fort
peu de chose au delà. On en voit qui ne sont pas toujours également maîtres de leur peur. D'autres se laissent
quelquefois entraîner à des terreurs générales. D'autres vont à la charge parce qu'ils n'osent demeurer dans leurs postes.
Il s'en trouve à qui l'habitude des moindres périls affermit le courage et les prépare à s'exposer à de plus grands. Il y en
a qui sont braves à coups d'épée, et qui craignent les coups de mousquet; d'autres sont assurés aux coups de mousquet,
et appréhendent de se battre à coups d'épée. Tous ces courages de différentes espèces conviennent en ce que la nuit
augmentant la crainte et cachant les bonnes et les mauvaises actions, elle donne la liberté de se ménager. Il y a encore un
autre ménagement plus général; car on ne voit point d'homme qui fasse tout ce qu'il serait capable de faire dans une
occasion s'il était assuré d'en revenir. De sorte qu'il est visible que la crainte de la mort ôte quelque chose de la valeur.
CCXVI
La parfaite valeur est de faire sans témoins ce qu'on serait capable de faire devant tout le monde.
CCXVII
L'intrépidité est une force extraordinaire de l'âme qui l'élève au-dessus des troubles, des désordres et des émotions que
la vue des grands périls pourrait exciter en elle; et c'est par cette force que les héros se maintiennent en un état paisible,
et conservent l'usage libre de leur raison dans les accidents les plus surprenants et les plus terribles.
CCXVIII
L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu.
CCXIX
La plupart des hommes s'exposent assez dans la guerre pour sauver leur honneur. Mais peu se veulent toujours exposer
autant qu'il est nécessaire pour faire réussir le dessein pour lequel ils s'exposent.
CCXX
La vanité, la honte, et surtout le tempérament, font souvent la valeur des hommes, et la vertu des femmes.
CCXXI
On ne veut point perdre la vie, et on veut acquérir de la gloire; ce qui fait que les braves ont plus d'adresse et d'esprit
pour éviter la mort que les gens de chicane n'en ont pour conserver leur bien.
CCXXII
Il n'y a guère de personnes qui dans le premier penchant de l'âge ne fassent connaître par où leur corps et leur esprit
doivent défaillir.
CCXXIII
Il est de la reconnaissance comme de la bonne foi des marchands: elle entretient le commerce; et nous ne payons pas
parce qu'il est juste de nous acquitter, mais pour trouver plus facilement des gens qui nous prêtent.
CCXXIV
Tous ceux qui s'acquittent des devoirs de la reconnaissance ne peuvent pas pour cela se flatter d'être reconnaissants.
CCXXV
Ce qui fait le mécompte dans la reconnaissance qu'on attend des grâces que l'on a faites, c'est que l'orgueil de celui
qui donne, et l'orgueil de celui qui reçoit, ne peuvent convenir du prix du bienfait.
CCXXVI
Le trop grand empressement qu'on a de s'acquitter d'une obligation est une espèce d'ingratitude.
[Souhaitez-vous continuer votre lecture sur le thème de la reconnaissance?]
CCXXVII
Les gens heureux ne se corrigent guère; ils croient toujours avoir raison quand la fortune soutient leur mauvaise conduite.
CCXXVIII
L'orgueil ne veut pas devoir, et l'amour-propre ne veut pas payer.
CCXXIX
Le bien que nous avons reçu de quelqu'un veut que nous respections le mal qu'il nous fait.
CCXXX
Rien n'est si contagieux que l'exemple, et nous ne faisons jamais de grands biens ni de grands maux qui n'en produisent
de semblables. Nous imitons les bonnes actions par émulation, et les mauvaises par la malignité de notre nature que la honte retenait prisonnière, et que l'exemple met en liberté.
CCXXXI
C'est une grande folie de vouloir être sage tout seul.
CCXXXII
Quelque prétexte que nous donnions à nos afflictions, ce n'est souvent que l'intérêt et la vanité qui les causent.
CCXXXIII
Il y a dans les afflictions diverses sortes d'hypocrisie. Dans l'une, sous prétexte de pleurer la perte d'une personne qui
nous est chère, nous nous pleurons nous-mêmes; nous regrettons la bonne opinion qu'il avait de nous; nous pleurons la
diminution de notre bien, de notre plaisir, de notre considération. Ainsi les morts ont l'honneur des larmes qui ne coulent
que pour les vivants. Je dis que c'est une espèce d'hypocrisie, à cause que dans ces sortes d'afflictions on se trompe
soi-même. Il y a une autre hypocrisie qui n'est pas si innocente, parce qu'elle impose à tout le monde: c'est l'affliction de
certaines personnes qui aspirent à la gloire d'une belle et immortelle douleur. Après que le temps qui consume tout a fait
cesser celle qu'elles avaient en effet, elles ne laissent pas d'opiniâtrer leurs pleurs, leurs plaintes, et leurs soupirs; elles
prennent un personnage lugubre, et travaillent à persuader par toutes leurs actions que leur déplaisir ne finira qu'avec leur
vie. Cette triste et fatigante vanité se trouve d'ordinaire dans les femmes ambitieuses. Comme leur sexe leur ferme tous
les chemins qui mènent à la gloire, elles s'efforcent de se rendre célèbres par la montre d'une inconsolable affliction. Il y a
encore une autre espèce de larmes qui n'ont que de petites sources qui coulent et se tarissent facilement: on pleure pour
avoir la réputation d'être tendre, on pleure pour être plaint, on pleure pour être pleuré; enfin on pleure pour éviter la
honte de ne pleurer pas.
CCXXXIV
C'est plus souvent par orgueil que par défaut de lumières qu'on s'oppose avec tant d'opiniâtreté aux opinions les plus
suivies: on trouve les premières places prises dans le bon parti, et on ne veut point des dernières.
CCXXXV
Nous nous consolons aisément des disgrâces de nos amis lorsqu'elles servent à signaler notre tendresse pour eux.
CCXXXVI
Il semble que l'amour-propre soit la dupe de la bonté, et qu'il s'oublie lui-même lorsque nous travaillons pour l'avantage
des autres. Cependant c'est prendre le chemin le plus assuré pour arriver à ses fins; c'est prêter à usure sous prétexte de
donner; c'est enfin s'acquérir tout le monde par un moyen subtil et délicat.
CCXXXVII
Nul ne mérite d'être loué de bonté, s'il n'a pas la force d'être méchant: toute autre bonté n'est le plus souvent qu'une
paresse ou une impuissance de la volonté.
CCXXXVIII
Il n'est pas si dangereux de faire du mal à la plupart des hommes que de leur faire trop de bien.
CCXXXIX
Rien ne flatte plus notre orgueil que la confiance des grands, parce que nous la regardons comme un effet de notre
mérite, sans considérer qu'elle ne vient le plus souvent que de vanité, ou d'impuissance de garder le secret.
CCXL
On peut dire de l'agrément séparé de la beauté que c'est une symétrie dont on ne sait point les règles, et un rapport
secret des traits ensemble, et des traits avec les couleurs et avec l'air de la personne.
CCXLI
La coquetterie * est le fond de l'humeur des femmes. Mais toutes ne la mettent pas en pratique, parce que la coquetterie de quelques-unes est retenue par la crainte ou par la raison. [souhaitez-vous explorer le thème de la poltronnerie, ou celui, indirectement, de la crainte ?]
CCXLII
On incommode souvent les autres quand on croit ne les pouvoir jamais incommoder.
CCXLIII
Il y a peu de choses impossibles d'elles-mêmes; et l'application pour les faire réussir nous manque plus que les moyens.
CCXLIV
La souveraine habileté consiste à bien connaître le prix des choses.
CCXLV
C'est une grande habileté que de savoir cacher son habileté.
CCXLVI
Ce qui paraît générosité n'est souvent qu'une ambition déguisée qui méprise de petits intérêts, pour aller à de plus
grands.
CCXLVII
La fidélité qui paraît en la plupart des hommes n'est qu'une invention de l'amour-propre pour attirer la confiance. C'est un
moyen de nous élever au-dessus des autres, et de nous rendre dépositaires des choses les plus importantes.
CCXLVIII
La magnanimité méprise tout pour avoir tout.
CCXLIX
Il n'y a pas moins d'éloquence dans le ton de la voix, dans les yeux et dans l'air de la personne, que dans le choix des
paroles. [pour en voir un peu plus sur les rapports entre la manière d'exprimer et la chose exprimée]
CCL
La véritable éloquence consiste à dire tout ce qu'il faut, et à ne dire que ce qu'il faut.
CCLI
Il y a des personnes à qui les défauts siéent bien, et d'autres qui sont disgraciées avec leurs bonnes qualités.
CCLII
Il est aussi ordinaire de voir changer les goûts qu'il est extraordinaire de voir changer les inclinations.
CCLIII
L'intérêt met en oeuvre toutes sortes de vertus et de vices.
CCLIV
L'humilité n'est souvent qu'une feinte soumission, dont on se sert pour soumettre les autres; c'est un artifice de l'orgueil
qui s'abaisse pour s'élever; et bien qu'il se transforme en mille manières, il n'est jamais mieux déguisé et plus capable de
tromper que lorsqu'il se cache sous la figure de l'humilité.
CCLV
Tous les sentiments ont chacun un ton de voix, des gestes et des mines qui leur sont propres. Et ce rapport bon ou
mauvais, agréable ou désagréable. est ce qui fait que les personnes plaisent ou déplaisent.
CCLVI
Dans toutes les professions chacun affecte une mine et un extérieur pour paraître ce qu'il veut qu'on le croie. Ainsi on
peut dire que le monde n'est composé que de mines.
CCLVII
La gravité est un mystère du corps inventé pour cacher les défauts de l'esprit.
CCLVIII
Le bon goût vient plus du jugement que de l'esprit.
CCLIX
Le plaisir de l'amour est d'aimer; et l'on est plus heureux par la passion que l'on a que par celle que l'on donne.
CCLX
La civilité est un désir d'en recevoir, et d'être estimé poli.
CCLXI
L'éducation que l'on donne d'ordinaire aux jeunes gens est un second amour-propre qu'on leur inspire.
CCLXII
Il n'y a point de passion où l'amour de soi-même règne si puissamment que dans l'amour; et on est toujours plus disposé
à sacrifier le repos de ce qu'on aime qu'à perdre le sien.
CCLXIII
Ce qu'on nomme libéralité n'est le plus souvent que la vanité de donner, que nous aimons mieux que ce que nous
donnons.
CCLXIV
La pitié est souvent un sentiment de nos propres maux dans les maux d'autrui. C'est une habile prévoyance des malheurs
où nous pouvons tomber; nous donnons du secours aux autres pour les engager à nous en donner en de semblables
occasions; et ces services que nous leur rendons sont à proprement parler des biens que nous nous faisons à
nous-mêmes par avance.
CCLXV
La petitesse de l'esprit fait l'opiniâtreté; et nous ne croyons pas aisément ce qui est au-delà de ce que nous voyons.
CCLXVI
C'est se tromper que de croire qu'il n'y ait que les violentes passions, comme l'ambition et l'amour, qui puissent triompher
des autres. La paresse, toute languissante qu'elle est, ne laisse pas d'en être souvent la maîtresse; elle usurpe sur tous les
desseins et sur toutes les actions de la vie; elle y détruit et y consume insensiblement les passions et les vertus.
CCLXVII
La promptitude à croire le mal sans l'avoir assez examiné est un effet de l'orgueil et de la paresse. On veut trouver des
coupables; et on ne veut pas se donner la peine d'examiner les crimes.
CCLXVIII
Nous récusons des juges pour les plus petits intérêts, et nous voulons bien que notre réputation et notre gloire
dépendent du jugement des hommes, qui nous sont tout contraires, ou par leur jalousie, ou par leur préoccupation, ou
par leur peu de lumière; et ce n'est que pour les faire prononcer en notre faveur que nous exposons en tant de manières
notre repos et notre vie.
CCLXIX
Il n'y a guère d'homme assez habile pour connaître tout le mal qu'il fait.
CCLXX
L'honneur acquis est caution de celui qu'on doit acquérir.
CCLXXI
La jeunesse est une ivresse continuelle: c'est la fièvre de la raison.
CCLXXII
Rien ne devrait plus humilier les hommes qui ont mérité de grandes louanges, que le soin qu'ils prennent encore de se faire
valoir par de petites choses.
CCLXXIII
Il y a des gens qu'on approuve dans le monde, qui n'ont pour tout mérite que les vices qui servent au commerce de la vie.
CCLXXIV
La grâce de la nouveauté est à l'amour ce que la fleur est sur les fruits; elle y donne un lustre qui s'efface aisément, et
qui ne revient jamais.
CCLXXV
Le bon naturel, qui se vante d'être si sensible, est souvent étouffé par le moindre intérêt.
CCLXXVI
L'absence diminue les médiocres passions, et augmente les grandes, comme le vent éteint les bougies et allume le feu.
CCLXXVII
Les femmes croient souvent aimer encore qu'elles n'aiment pas. L'occupation d'une intrigue, l'émotion d'esprit que
donne la galanterie, la pente naturelle au plaisir d'être aimées, et la peine de refuser, leur persuadent qu'elles ont de la
passion lorsqu'elles n'ont que de la coquetterie.
CCLXXVIII
Ce qui fait que l'on est souvent mécontent de ceux qui négocient, est qu'ils abandonnent presque toujours l'intérêt de
leurs amis pour l'intérêt du succès de la négociation, qui devient le leur par l'honneur d'avoir réussi à ce qu'ils avaient
entrepris.
CCLXXIX
Quand nous exagérons la tendresse que nos amis ont pour nous, c'est souvent moins par reconnaissance que par le
désir de faire juger de notre mérite. [souhaitez-vous explorer le thème du mérite ou celui de l'amitié?]
CCLXXX
L'approbation que l'on donne à ceux qui entrent dans le monde vient souvent de l'envie secrète que l'on porte à ceux qui
y sont établis.
CCLXXXI
L'orgueil qui nous inspire tant d'envie nous sert souvent aussi à la modérer.
CCLXXXII
Il y a des faussetés déguisées qui représentent si bien la vérité que ce serait mal juger que de ne s'y pas laisser tromper.
CCLXXXIII
Il n'y a pas quelquefois moins d'habileté à savoir profiter d'un bon conseil qu'à se bien conseiller soi-même.
CCLXXXIV
Il y a des méchants qui seraient moins dangereux s'ils n'avaient aucune bonté.
CCLXXXV
La magnanimité est assez définie par son nom; néanmoins on pourrait dire que c'est le bon sens de l'orgueil, et la voie
la plus noble pour recevoir des louanges.
CCLXXXVI
Il est impossible d'aimer une seconde fois ce qu'on a véritablement cessé d'aimer.
CCLXXXVII
Ce n'est pas tant la fertilité de l'esprit qui nous fait trouver plusieurs expédients sur une même affaire, que c'est le défaut
de lumière qui nous fait arrêter à tout ce qui se présente à notre imagination, et qui nous empêche de discerner d'abord
ce qui est le meilleur.
CCLXXXVIII
Il y a des affaires et des maladies que les remèdes aigrissent en certains temps; et la grande habileté consiste à connaître
quand il est dangereux d'en user.
CCLXXXIX
La simplicité affectée est une imposture délicate.
Il y a plus de défauts dans l'humeur que dans l'esprit.
CCXCI
Le mérite des hommes a sa saison aussi bien que les fruits.
CCXCII
On peut dire de l'humeur des hommes, comme de la plupart des bâtiments, qu'elle a diverses faces, les unes agréables,
et les autres désagréables.
CCXCIII
La modération ne peut avoir le mérite de combattre l'ambition et de la soumettre: elles ne se trouvent jamais ensemble.
La modération est la langueur et la paresse de l'âme, comme l'ambition en est l'activité et l'ardeur.
CCXCIV
Nous aimons toujours ceux qui nous admirent; et nous n'aimons pas toujours ceux que nous admirons.
CCXCV
Il s'en faut bien que nous ne connaissions toutes nos volontés.
CCXCVI
Il est difficile d'aimer ceux que nous n'estimons point; mais il ne l'est pas moins d'aimer ceux que nous estimons
beaucoup plus que nous.
CCXCVII
Les humeurs du corps ont un cours ordinaire et réglé, qui meut et qui tourne imperceptiblement notre volonté; elles
roulent ensemble et exercent successivement un empire secret en nous: de sorte qu'elles ont une part considérable à
toutes nos actions, sans que nous le puissions connaître.
CCXCVIII
La reconnaissance de la plupart des hommes n'est qu'une secrète envie de recevoir de plus grands bienfaits.
CCXCIX
Presque tout le monde prend plaisir à s'acquitter des petites obligations; beaucoup de gens ont de la reconnaissance
pour les médiocres; mais il n'y a quasi personne qui n'ait de l'ingratitude pour les grandes.
CCC
Il y a des folies qui se prennent comme les maladies contagieuses.
CCCI
Assez de gens méprisent le bien, mais peu savent le donner.
CCCII
Ce n'est d'ordinaire que dans de petits intérêts où nous prenons le hasard de ne pas croire aux apparences.
CCCIII
Quelque bien qu'on nous dise de nous, on ne nous apprend rien de nouveau.
CCCIV
Nous pardonnons souvent à ceux qui nous ennuient, mais nous ne pouvons pardonner à ceux que nous ennuyons.
[ Souhaitez vous continuer sur le thème de l'ennui ou de l'amour-propre?]
CCCV
L'intérêt que l'on accuse de tous nos crimes mérite souvent d'être loué de nos bonnes actions.
CCCVI On ne trouve guère d'ingrats tant qu'on est en état de faire du bien.
CCCVII
Il est aussi honnête d'être glorieux avec soi-même qu'il est ridicule de l'être avec les autres.
CCCVIII
On a fait une vertu de la modération pour borner l'ambition des grands hommes, et pour consoler les gens médiocres de
leur peu de fortune, et de leur peu de mérite.
Il y a des gens destinés à être sots, qui ne font pas seulement des sottises par leur choix, mais que la fortune même
contraint d'en faire.
CCCX
Il arrive quelquefois des accidents dans la vie, d'où il faut être un peu fou pour se bien tirer.
CCCXI
S'il y a des hommes dont le ridicule n'ait jamais paru, c'est qu'on ne l'a pas bien cherché.
CCCXII
Ce qui fait que les amants et les maîtresses ne s'ennuient point d'être ensemble, c'est qu'ils parlent toujours d'eux-mêmes.
[Souhaitez-vous continuer votre lecture sur le thème du mariage ou de l'ennui?]
CCCXIII
Pourquoi faut-il que nous ayons assez de mémoire pour retenir jusqu'aux moindres particularités de ce qui nous est
arrivé, et que nous n'en ayons pas assez pour nous souvenir combien de fois nous les avons contées à une même
personne ?
CCCXIV
L'extrême plaisir que nous prenons à parler de nous-mêmes nous doit faire craindre de n'en donner guère à ceux qui
nous écoutent.
CCCXV
Ce qui nous empêche d'ordinaire de faire voir le fond de notre coeur à nos amis, n'est pas tant la défiance que nous
avons d'eux, que celle que nous avons de nous-mêmes.
CCCXVI
Les personnes faibles ne peuvent être sincères.
CCCXVII
Ce n'est pas un grand malheur d'obliger des ingrats, mais c'en est un insupportable d'être obligé à un malhonnête homme.
CCCXVIII
On trouve des moyens pour guérir de la folie, mais on n'en trouve point pour redresser un esprit de travers.
CCCXIX
On ne saurait conserver longtemps les sentiments qu'on doit avoir pour ses amis et pour ses bienfaiteurs, si on se laisse
la liberté de parler souvent de leurs défauts.
CCCXX
Louer les princes des vertus qu'ils n'ont pas, c'est leur dire impunément des injures.
CCCXXI
Nous sommes plus près d'aimer ceux qui nous haïssent que ceux qui nous aiment plus que nous ne voulons.
CCCXXII
Il n'y a que ceux qui sont méprisables qui craignent d'être méprisés.
CCCXXIII
Notre sagesse n'est pas moins à la merci de la fortune que nos biens.
CCCXXIV
Il y a dans la jalousie plus d'amour-propre que d'amour.
CCCXXV
Nous nous consolons souvent par faiblesse des maux dont la raison n'a pas la force de nous consoler.
CCCXXVI
Le ridicule déshonore plus que le déshonneur.
CCCXXVII
Nous n'avouons de petits défauts que pour persuader que nous n'en avons pas de grands.
CCCXXVIII
L'envie est plus irréconciliable que la haine.
CCCXXIX
On croit quelquefois haïr la flatterie, mais on ne hait que la manière de flatter.
CCCXXX
On pardonne tant que l'on aime.
CCCXXXI
Il est plus difficile d'être fidèle à sa maîtresse quand on est heureux que quand on en est maltraité.
CCCXXXII
Les femmes ne connaissent pas toute leur coquetterie.
CCCXXXIII
Les femmes n'ont point de sévérité complète sans aversion.
CCCXXXIV
Les femmes peuvent moins surmonter leur coquetterie que leur passion.
CCCXXXV
Dans l'amour la tromperie va presque toujours plus loin que la méfiance.
CCCXXXVI
Il y a une certaine sorte d'amour dont l'excès empêche la jalousie.
CCCXXXVII
Il est de certaines bonnes qualités comme des sens: ceux qui en sont entièrement privés ne les peuvent apercevoir ni les
comprendre.
CCCXXXVIII
Lorsque notre haine est trop vive, elle nous met au-dessous de ceux que nous haïssons.
CCCXXXIX
Nous ne ressentons nos biens et nos maux qu'à proportion de notre amour-propre.
CCCXL
L'esprit de la plupart des femmes sert plus à fortifier leur folie que leur raison.
CCCXLI
Les passions de la jeunesse ne sont guère plus opposées au salut que la tiédeur des vieilles gens.
CCCXLII
L'accent du pays où l'on est né demeure dans l'esprit et dans le coeur, comme dans le langage.
CCCXLIII
Pour être un grand homme, il faut savoir profiter de toute sa fortune.
CCCXLIV
La plupart des hommes ont comme les plantes des propriétés cachées, que le hasard fait découvrir.
CCCXLV
Les occasions nous font connaître aux autres, et encore plus à nous-mêmes.
CCCXLVI
Il ne peut y avoir de règle dans l'esprit ni dans le coeur des femmes, si le tempérament n'en est d'accord.
CCCXLVII
Nous ne trouvons guère de gens de bon sens, que ceux qui sont de notre avis.
CCCXLVIII
Quand on aime, on doute souvent de ce qu'on croit le plus.
CCCXLIX
Le plus grand miracle de l'amour, c'est de guérir de la coquetterie *.
CCCL
Ce qui nous donne tant d'aigreur contre ceux qui nous font des finesses *, c'est qu'ils croient être plus habiles que nous.
CCCLI
On a bien de la peine à rompre, quand on ne s'aime plus.
[Souhaitez-vous continuer votre lecture sur le thème de la perte?] CCCLII
On s'ennuie presque toujours avec les gens avec qui il n'est pas permis de s'ennuyer.
CCCLIII
Un honnête homme peut être amoureux comme un fou, mais non pas comme un sot.
CCCLIV
Il y a de certains défauts qui, bien mis en oeuvre, brillent plus que la vertu même.
CCCLV
On perd quelquefois des personnes qu'on regrette plus qu'on n'en est affligé; et d'autres dont on est affligé, et qu'on ne regrette guère.
CCCLVI
Nous ne louons d'ordinaire de bon coeur que ceux qui nous admirent.
[Souhaitez-vous continuer votre lecture sur le thème de la vanité?]
CCCLVII
Les petits esprits sont trop blessés des petites choses; les grands esprits les voient toutes, et n'en sont point blessés.
CCCLVIII
L'humilité est la véritable preuve des vertus chrétiennes: sans elle nous conservons tous nos défauts, et ils sont seulement
couverts par l'orgueil qui les cache aux autres, et souvent à nous-mêmes.
CCCLIX
Les infidélités devraient éteindre l'amour, et il ne faudrait point être jaloux quand on a sujet de l'être. Il n'y a que les
personnes qui évitent de donner de la jalousie qui soient dignes qu'on en ait pour elles.
CCCLX
On se décrie beaucoup plus auprès de nous par les moindres infidélités qu'on nous fait, que par les plus grandes qu'on
fait aux autres.
CCCLXI
La jalousie naît toujours avec l'amour, mais elle ne meurt pas toujours avec lui.
CCCLXII
La plupart des femmes ne pleurent pas tant la mort de leurs amants pour les avoir aimés, que pour paraître plus dignes
d'être aimées.
CCCLXIII
Les violences qu'on nous fait nous font souvent moins de peine que celles que nous nous faisons à nous-mêmes.
CCCLXIV
On sait assez qu'il ne faut guère parler de sa femme; mais on ne sait pas assez qu'on devrait encore moins parler de soi.
CCCLXV
Il y a de bonnes qualités qui dégénèrent en défauts quand elles sont naturelles, et d'autres qui ne sont jamais parfaites
quand elles sont acquises. Il faut, par exemple, que la raison nous fasse ménagers de notre bien et de notre confiance;
et il faut, au contraire, que la nature nous donne la bonté et la valeur.
CCCLXVI
Quelque défiance que nous ayons de la sincérité de ceux qui nous parlent, nous croyons toujours qu'ils nous disent plus
vrai qu'aux autres.
CCCLXVII
Il y a peu d'honnêtes femmes qui ne soient lasses de leur métier.
CCCLXVIII
La plupart des honnêtes femmes sont des trésors cachés, qui ne sont en sûreté que parce qu'on ne les cherche pas.
CCCLXIX
Les violences qu'on se fait pour s'empêcher d'aimer sont souvent plus cruelles que les rigueurs de ce qu'on aime.
CCCLXX
Il n'y a guère de poltrons qui connaissent toujours toute leur peur.
CCCLXXI
C'est presque toujours la faute de celui qui aime de ne pas connaître quand on cesse de l'aimer.
CCCLXXII
La plupart des jeunes gens croient être naturels, lorsqu'ils ne sont que mal polis et grossiers. [ Souhaitez vous continuer sur le thème de la jeunesse, ou du paraître?]
CCCLXXIII
Il y a de certaines larmes qui nous trompent souvent nous-mêmes après avoir trompé les autres.
CCCLXXIV
Si on croit aimer sa maîtresse pour l'amour d'elle, on est bien trompé.
CCCLXXV
Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée.
CCCLXXVI
L'envie est détruite par la véritable amitié, et la coquetterie * par le véritable amour.
CCCLXXVII
Le plus grand défaut de la pénétration n'est pas de n'aller point jusqu'au but, c'est de le passer.
CCCLXXVIII
On donne des conseils mais on n'inspire point de conduite.
CCCLXXIX
Quand notre mérite baisse, notre goût baisse aussi.
CCCLXXX
La fortune fait paraître nos vertus et nos vices, comme la lumière fait paraître les objets.
CCCLXXXI
La violence qu'on se fait pour demeurer fidèle à ce qu'on aime ne vaut guère mieux qu'une infidélité.
CCCLXXXII
Nos actions sont comme les bouts-rimés, que chacun fait rapporter à ce qu'il lui plaît.
CCCLXXXIII
L'envie de parler de nous, et de faire voir nos défauts du côté que nous voulons bien les montrer, fait une grande partie
de notre sincérité.
CCCLXXXIV
On ne devrait s'étonner que de pouvoir encore s'étonner.
CCCLXXXV
On est presque également difficile à contenter quand on a beaucoup d'amour et quand on n'en a plus guère.
CCCLXXXVI
Il n'y a point de gens qui aient plus souvent tort que ceux qui ne peuvent souffrir d'en avoir.
CCCLXXXVII
Un sot n'a pas assez d'étoffe pour être bon.
CCCLXXXVIII
Si la vanité ne renverse pas entièrement les vertus, du moins elle les ébranle toutes.
CCCLXXXIX
Ce qui nous rend la vanité des autres insupportable, c'est qu'elle blesse la nôtre.
CCCXC
On renonce plus aisément à son intérêt qu'à son goût.
CCCXCI
La fortune ne paraît jamais si aveugle qu'à ceux à qui elle ne fait pas de bien.
CCCXCII
Il faut gouverner la fortune comme la santé: en jouir quand elle est bonne, prendre patience quand elle est mauvaise, et
ne faire jamais de grands remèdes sans un extrême besoin.
CCCXCIII
L'air bourgeois se perd quelquefois à l'armée; mais il ne se perd jamais à la cour.
CCCXCIV
On peut être plus fin qu'un autre, mais non pas plus fin * que tous les autres.
CCCXCV
On est quelquefois moins malheureux d'être trompé de ce qu'on aime, que d'en être détrompé.
CCCXCVI
On garde longtemps son premier amant, quand on n'en prend point de second. [Souhaitez-vous continuer votre lecture avec le thème de l'amour ou bien des femmes?]
CCCXCVII
Nous n'avons pas le courage de dire en général que nous n'avons point de défauts, et que nos ennemis n'ont point de
bonnes qualités; mais en détail nous ne sommes pas trop éloignés de le croire.
CCCXCVIII
De tous nos défauts, celui dont nous demeurons le plus aisément d'accord, c'est de la paresse; nous nous persuadons
qu'elle tient à toutes les vertus paisibles et que, sans détruire entièrement les autres, elle en suspend seulement les
fonctions.
CCCXCIX
Il y a une élévation qui ne dépend point de la fortune: c'est un certain air qui nous distingue et qui semble nous destiner
aux grandes choses; c'est un prix que nous nous donnons imperceptiblement à nous-mêmes; c'est par cette qualité que
nous usurpons les déférences des autres hommes, et c'est elle d'ordinaire qui nous met plus au-dessus d'eux que la
naissance, les dignités, et le mérite même.
CCCC
Il y a du mérite sans élévation, mais il n'y a point d'élévation sans quelque mérite.
CCCCI
L'élévation est au mérite ce que la parure est aux belles personnes.
CCCCII
Ce qui se trouve le moins dans la galanterie, c'est de l'amour.
CCCCIII
La fortune se sert quelquefois de nos défauts pour nous élever, et il y a des gens incommodes dont le mérite serait mal
récompensé si on ne voulait acheter leur absence.
CCCCIV
Il semble que la nature ait caché dans le fond de notre esprit des talents et une habileté que nous ne connaissons pas; les
passions seules ont le droit de les mettre au jour, et de nous donner quelquefois des vues plus certaines et plus achevées
que l'art ne saurait faire.
CCCCV
Nous arrivons tout nouveaux aux divers âges de la vie, et nous y manquons souvent d'expérience malgré le nombre des
années.
CCCCVI
Les coquettes * se font honneur d'être jalouses de leurs amants, pour cacher qu'elles sont envieuses des autres femmes.
CCCCVII
Il s'en faut bien que ceux qui s'attrapent à nos finesses * ne nous paraissent aussi ridicules que nous nous le paraissons à nous-mêmes quand les finesses des autres nous ont attrapés.
CCCCVIII
Le plus dangereux ridicule des vieilles personnes qui ont été aimables, c'est d'oublier qu'elles ne le sont plus.
CCCCIX
Nous aurions souvent honte de nos plus belles actions si le monde voyait tous les motifs qui les produisent.
CCCCX
Le plus grand effort de l'amitié n'est pas de montrer nos défauts à un ami; c'est de lui faire voir les siens.
CCCCXI
On n'a guère de défauts qui ne soient plus pardonnables que les moyens dont on se sert pour les cacher.
CCCCXII
Quelque honte que nous ayons méritée, il est presque toujours en notre pouvoir de rétablir notre réputation.
CCCCXIII
On ne plaît pas longtemps quand on n'a que d'une sorte d'esprit.
CCCCXIV
Les fous et les sottes gens ne voient que par leur humeur.
CCCCXV
L'esprit nous sert quelquefois à faire hardiment des sottises.
CCCCXVI
La vivacité qui augmente en vieillissant ne va pas loin de la folie.
CCCCXVII
En amour celui qui est guéri le premier est toujours le mieux guéri.
CCCCXVIII
Les jeunes femmes qui ne veulent point paraître coquettes, et les hommes d'un âge avancé qui ne veulent pas être
ridicules, ne doivent jamais parler de l'amour comme d'une chose où ils puissent avoir part.
CCCCXIX
Nous pouvons paraître grands dans un emploi au-dessous de notre mérite, mais nous paraissons souvent petits dans un
emploi plus grand que nous.
CCCCXX
Nous croyons souvent avoir de la constance dans les malheurs, lorsque nous n'avons que de l'abattement, et nous les
souffrons sans oser les regarder comme les poltrons se laissent tuer de peur de se défendre.
CCCCXXI
La confiance fournit plus à la conversation que l 'esprit.
CCCCXXII
Toutes les passions nous font faire des fautes, mais l'amour nous en fait faire de plus ridicules.
CCCCXXIII
Peu de gens savent être vieux.
CCCCXXIV
Nous nous faisons honneur des défauts opposés à ceux que nous avons: quand nous sommes faibles, nous nous vantons
d'être opiniâtres.
CCCCXXV
La pénétration a un air de deviner qui flatte plus notre vanité que toutes les autres qualités de l'esprit.
CCCCXXVI
La grâce de la nouveauté et la longue habitude, quelque opposées qu'elles soient, nous empêchent également de sentir
les défauts de nos amis.
CCCCXXVII
La plupart des amis dégoûtent de l'amitié, et la plupart des dévots dégoûtent de la dévotion.
CCCCXXVIII
Nous pardonnons aisément à nos amis les défauts qui ne nous regardent pas.
CCCCXXIX
Les femmes qui aiment pardonnent plus aisément les grandes indiscrétions que les petites infidélités.
CCCCXXX
Dans la vieillesse de l'amour comme dans celle de l'âge on vit encore pour les maux, mais on ne vit plus pour les plaisirs.
CCCCXXXI Rien n'empêche tant d'être naturel que l'envie de le paraître.
CCCCXXXII
C'est en quelque sorte se donner part aux belles actions, que de les louer de bon coeur.
CCCCXXXIII
La plus véritable marque d'être né avec de grandes qualités, c'est d'être né sans envie.
CCCCXXXIV
Quand nos amis nous ont trompés, on ne doit que de l'indifférence aux marques de leur amitié, mais on doit toujours de
la sensibilité à leurs malheurs.
CCCCXXXV
La fortune et l'humeur gouvernent le monde.
CCCCXXXVI
Il est plus aisé de connaître l'homme en général que de connaître un homme en particulier.
[Souhaitez-vous continuer votre lecture sur le thème de la connaissance des hommes ou sur celui de la connaissance en général?]
On ne doit pas juger du mérite d'un homme par ses grandes qualités, mais par l'usage qu'il en sait faire.
CCCCXXXVIII
Il y a une certaine reconnaissance vive qui ne nous acquitte pas seulement des bienfaits que nous avons reçus, mais qui
fait même que nos amis nous doivent en leur payant ce que nous leur devons.
CCCCXXXIX
Nous ne désirerions guère de choses avec ardeur, si nous connaissions parfaitement ce que nous désirons.
CCCCXL
Ce qui fait que la plupart des femmes sont peu touchées de l'amitié, c'est qu'elle est fade quand on a senti de l'amour.
CCCCXLI
Dans l'amitié comme dans l'amour on est souvent plus heureux par les choses qu'on ignore que par celles que l'on sait.
CCCCXLII
Nous essayons de nous faire honneur des défauts que nous ne voulons pas corriger.
CCCCXLIII
Les passions les plus violentes nous laissent quelquefois du relâche, mais la vanité nous agite toujours.
CCCCXLIV
Les vieux fous sont plus fous que les jeunes.
CCCCXLV
La faiblesse est plus opposée à la vertu que le vice.
CCCCXLVI
Ce qui rend les douleurs de la honte et de la jalousie si aiguës, c'est que la vanité ne peut servir à les supporter.
CCCCXLVII
La bienséance est la moindre de toutes les lois, et la plus suivie.
CCCCXLVIII
Un esprit droit a moins de peine de se soumettre aux esprits de travers que de les conduire.
CCCCXLIX
Lorsque la fortune nous surprend en nous donnant une grande place sans nous y avoir conduits par degrés, ou sans que
nous nous y soyons élevés par nos espérances, il est presque impossible de s'y bien soutenir, et de paraître digne de
l'occuper.
CCCCL
Notre orgueil s'augmente souvent de ce que nous retranchons de nos autres défauts.
CCCCLI
Il n'y a point de sots si incommodes que ceux qui ont de l'esprit.
CCCCLII
Il n'y a point d'homme qui se croie en chacune de ses qualités au-dessous de l'homme du monde qu'il estime le plus.
CCCCLIII
Dans les grandes affaires on doit moins s'appliquer à faire naître des occasions qu'à profiter de celles qui se présentent.
CCCCLIV
Il n'y a guère d'occasion où l'on fit un méchant marché de renoncer au bien qu'on dit de nous, à condition de n'en dire
point de mal.
CCCCLV
Quelque disposition qu'ait le monde à mal juger, il fait encore plus souvent grâce au faux mérite qu'il ne fait injustice au
véritable.
CCCCLVI
On est quelquefois un sot avec de l'esprit, mais on ne l'est jamais avec du jugement.
CCCCLVII
Nous gagnerions plus de nous laisser voir tels que nous sommes, que d'essayer de paraître ce que nous ne sommes pas.
CCCCLVIII
Nos ennemis approchent plus de la vérité dans les jugements qu'ils font de nous que nous n'en approchons nous-mêmes.
CCCCLIX
Il y a plusieurs remèdes qui guérissent de l'amour, mais il n'y en a point d'infaillibles.
CCCCLX
Il s'en faut bien que nous connaissions tout ce que nos passions nous font faire.
CCCCLXI
La vieillesse est un tyran qui défend sur peine de la vie tous les plaisirs de la jeunesse.
CCCCLXII
Le même orgueil qui nous fait blâmer les défauts dont nous nous croyons exempts, nous porte à mépriser les bonnes
qualités que nous n'avons pas.
CCCCLXIII
Il y a souvent plus d'orgueil que de bonté à plaindre les malheurs de nos ennemis; c'est pour leur faire sentir que nous
sommes au-dessus d'eux que nous leur donnons des marques de compassion.
CCCCLXIV
Il y a un excès de biens et de maux qui passe notre sensibilité.
CCCCLXV
Il s'en faut bien que l'innocence ne trouve autant de protection que le crime.
CCCCLXVI
De toutes les passions violentes, celle qui sied le moins mal aux femmes, c'est l'amour.
CCCCLXVII
La vanité nous fait faire plus de choses contre notre goût que la raison.
CCCCLXVIII
Il y a de méchantes qualités qui font de grands talents.
CCCCLXIX
On ne souhaite jamais ardemment ce qu'on ne souhaite que par raison.
CCCCLXX
Toutes nos qualités sont incertaines et douteuses en bien comme en mal, et elles sont presque toutes à la merci des
occasions.
CCCCLXXI
Dans les premières passions les femmes aiment l'amant, et dans les autres elles aiment l'amour.
CCCCLXXII
L'orgueil a ses bizarreries, comme les autres passions; on a honte d'avouer que l'on ait de la jalousie, et on se fait
honneur d'en avoir eu, et d'être capable d'en avoir.
CCCCLXXIII
Quelque rare que soit le véritable amour, il l'est encore moins que la véritable amitié.
CCCCLXXIV
Il y a peu de femmes dont le mérite dure plus que la beauté.
CCCCLXXV
L'envie d'être plaint, ou d'être admiré, fait souvent la plus grande partie de notre confiance. [Souhaitez-vous continuer votre lecture avec le thème de l'amour-propre ou celui de la vanité?]
CCCCLXXVI
Notre envie dure toujours plus longtemps que le bonheur de ceux que nous envions.
CCCCLXXVII
La même fermeté qui sert à résister à l'amour sert aussi a le rendre violent et durable, et les personnes faibles qui sont
toujours agitées des passions n'en sont presque jamais véritablement remplies.
CCCCLXXVIII
L'imagination ne saurait inventer tant de diverses contrariétés qu'il y en a naturellement dans le coeur de chaque
personne.
Il n'y a que les personnes qui ont de la fermeté qui puissent avoir une véritable douceur; celles qui paraissent douces
n'ont d'ordinaire que de la faiblesse, qui se convertit aisément en aigreur.
CCCCLXXX
La timidité est un défaut dont il est dangereux de reprendre les personnes qu'on en veut corriger.
CCCCLXXXI
Rien n'est plus rare que la véritable bonté; ceux mêmes qui croient en avoir n'ont d'ordinaire que de la complaisance ou
de la faiblesse.
CCCCLXXXII
L'esprit s'attache par paresse et par constance à ce qui lui est facile ou agréable; cette habitude met toujours des bornes
à nos connaissances, et jamais personne ne s'est donné la peine d'étendre et de conduire son esprit aussi loin qu'il
pourrait aller.
CCCCLXXXIII
On est d'ordinaire plus médisant par vanité que par malice.
CCCCLXXXIV Quand on a le coeur encore agité par les restes d'une passion, on est plus près d'en prendre une nouvelle que quand on
est entièrement guéri.
CCCCLXXXV
Ceux qui ont eu de grandes passions se trouvent toute leur vie heureux, et malheureux, d'en être guéris.
CCCCLXXXVI
Il y a encore plus de gens sans intérêt que sans envie.
CCCCLXXXVII
Nous avons plus de paresse dans l'esprit que dans le corps.
CCCCLXXXVIII
Le calme ou l'agitation de notre humeur ne dépend pas tant de ce qui nous arrive de plus considérable dans la vie, que
d'un arrangement commode ou désagréable de petites choses qui arrivent tous les jours.
CCCCLXXXIX
Quelque méchants que soient les hommes, ils n'oseraient paraître ennemis de la vertu, et lorsqu'ils la veulent persécuter,
ils feignent de croire qu'elle est fausse ou ils lui supposent des crimes.
CCCCXC
On passe souvent de l'amour à l'ambition, mais on ne revient guère de l'ambition à l'amour.
CCCCXCI
L'extrême avarice se méprend presque toujours; il n'y a point de passion qui s'éloigne plus souvent de son but, ni sur qui
le présent ait tant de pouvoir au préjudice de l'avenir.
CCCCXCII L'avarice produit souvent des effets contraires; il y a un nombre infini de gens qui sacrifient tout leur bien à des
espérances douteuses et éloignées, d'autres méprisent de grands avantages à venir pour de petits intérêts présents.
CCCCXCIII
Il semble que les hommes ne se trouvent pas assez de défauts; ils en augmentent encore le nombre par de certaines
qualités singulières dont ils affectent de se parer, et ils les cultivent avec tant de soin qu'elles deviennent à la fin des
défauts naturels, qu'il ne dépend plus d'eux de corriger.
CCCCXCIV
Ce qui fait voir que les hommes connaissent mieux leurs fautes qu'on ne pense, c'est qu'ils n'ont jamais tort quand on les
entend parler de leur conduite: le même amour-propre qui les aveugle d'ordinaire les éclaire alors, et leur donne des
vues si justes qu'il leur fait supprimer ou déguiser les moindres choses qui peuvent être condamnées.
CCCCXCV
Il faut que les jeunes gens qui entrent dans le monde soient honteux ou étourdis: un air capable et composé se tourne
d'ordinaire en impertinence.
CCCCXCVI
Les querelles ne dureraient pas longtemps, si le tort n'était que d'un côté.
CCCCXCVII Il ne sert de rien d'être jeune sans être belle, ni d'être belle sans être jeune. [ Souhaitez-vous continuer sur le thème de la jeunesse ou des femmes? ]
CCCCXCVIII
Il y a des personnes si légères et si frivoles qu'elles sont aussi éloignées d'avoir de véritables défauts que des qualités
solides.
CCCCXCIX
On ne compte d'ordinaire la première galanterie des femmes que lorsqu'elles en ont une seconde.
D
Il y a des gens si remplis d'eux-mêmes que, lorsqu'ils sont amoureux, ils trouvent moyen d'être occupés de leur
passion sans l'être de la personne qu'ils aiment.
DI
L'amour, tout agréable qu'il est, plaît encore plus par les manières dont il se montre que par lui-même.
DII
Peu d'esprit avec de la droiture ennuie moins, à la longue, que beaucoup d'esprit avec du travers. [Souhaitez-vous continuer votre lecture sur le thème de l'ennui?]
DIII
La jalousie est le plus grand de tous les maux, et celui qui fait le moins de pitié aux personnes qui le causent.
DIV
Après avoir parlé de la fausseté de tant de vertus apparentes, il est raisonnable de dire quelque chose de la fausseté
du mépris de la mort. J'entends parler de ce mépris de la mort que les païens se vantent de tirer de leurs propres
forces, sans l'espérance d'une meilleure vie. Il y a différence entre souffrir la mort constamment, et la mépriser.
Le premier est assez ordinaire; mais je crois que l'autre n'est jamais sincère. On a écrit néanmoins tout ce qui
peut le plus persuader que la mort n'est point un mal; et les hommes les plus faibles aussi bien que les héros ont
donné mille exemples célèbres pour établir cette opinion. Cependant je doute que personne de bon sens l'ait jamais
cru; et la peine que l'on prend pour le persuader aux autres et à soi-même fait assez voir que cette entreprise n'est
pas aisée. On peut avoir divers sujets de dégoût dans la vie, mais on n'a jamais raison de mépriser la mort; ceux
mêmes qui se la donnent volontairement ne la comptent pas pour si peu de chose, et ils s'en étonnent et la rejettent
comme les autres, lorsqu'elle vient à eux par une autre voie que celle qu'ils ont choisie. L'inégalité que l'on remarque
dans le courage d'un nombre infini de vaillants hommes vient de ce que la mort se découvre différemment à leur
imagination, et y paraît plus présente en un temps qu'en un autre. Ainsi il arrive qu'après avoir méprisé ce qu'ils ne
connaissent pas, ils craignent enfin ce qu'ils connaissent. Il faut éviter de l'envisager avec toutes ses circonstances,
si on ne veut pas croire qu'elle soit le plus grand de tous les maux. Les plus habiles et les plus braves sont ceux qui
prennent de plus honnêtes prétextes pour s'empêcher de la considérer. Mais tout homme qui la sait voir telle qu'elle
est, trouve que c'est une chose épouvantable. La nécessité de mourir faisait toute la constance des philosophes.
Ils croyaient qu'il fallait aller de bonne grâce où l'on ne saurait s'empêcher d'aller; et, ne pouvant éterniser leur vie,
il n'y avait rien qu'ils ne fissent pour éterniser leur réputation, et sauver du naufrage ce qui n'en peut être garanti.
Contentons-nous pour faire bonne mine de ne nous pas dire à nous-mêmes tout ce que nous en pensons, et
espérons plus de notre tempérament que de ces faibles raisonnements qui nous font croire que nous pouvons
approcher de la mort avec indifférence. La gloire de mourir avec fermeté, l'espérance d'être regretté, le désir de
laisser une belle réputation, l'assurance d'être affranchi des misères de la vie, et de ne dépendre plus des caprices
de la fortune, sont des remèdes qu'on ne doit pas rejeter. Mais on ne doit pas croire aussi qu'ils soient infaillibles.
Ils font pour nous assurer ce qu'une simple haie fait souvent à la guerre pour assurer ceux qui doivent approcher
d'un lieu d'où l'on tire. Quand on en est éloigné, on s'imagine qu'elle peut mettre à couvert; mais quand on en est
proche, on trouve que c'est un faible secours. C'est nous flatter, de croire que la mort nous paraisse de près ce
que nous en avons jugé de loin, et que nos sentiments, qui ne sont que faiblesse, soient d'une trempe assez forte
pour ne point souffrir d'atteinte par la plus rude de toutes les épreuves. C'est aussi mal connaître les effets de
l'amour-propre, que de penser qu'il puisse nous aider à compter pour rien ce qui le doit nécessairement détruire,
et la raison, dans laquelle on croit trouver tant de ressources, est trop faible en cette rencontre pour nous persuader
ce que nous voulons. C'est elle au contraire qui nous trahit le plus souvent, et qui, au lieu de nous inspirer le mépris
de la mort, sert à nous découvrir ce qu'elle a d'affreux et de terrible. Tout ce qu'elle peut faire pour nous est de nous
conseiller d'en détourner les yeux pour les arrêter sur d'autres objets. Caton et Brutus en choisirent d'illustres.
Un laquais se contenta il y a quelque temps de danser sur l'échafaud où il allait être roué. Ainsi, bien que les
motifs soient différents, ils produisent les mêmes effets De sorte qu'il est vrai que, quelque disproportion qu'il y
ait entre les grands hommes et les gens du commun, on a vu mille fois les uns et les autres recevoir la mort d'un
même visage; mais ç'a toujours été avec cette différence que, dans le mépris que les grands hommes font paraître
pour la mort, c'est l'amour de la gloire qui leur en ôte la vue, et dans les gens du commun ce n'est qu'un effet de leur
peu de lumière qui les empêche de connaître la grandeur de leur mal et leur laisse la liberté de penser à autre chose.
* Cet hypertexte est une création de Mathieu Gauvin, étudiant à la maîtrise en philosophie à l'Université Laval, Québec, et il s'inscrit dans le cadre du projet de recherche "Expression de la philosophie sur ordinateur" dirigé par le professeur Gilbert Boss. Cet hypertexte subira de nombreuses mutations au cours de son existence. Veuillez écrire à l'adresse pour soumettre toute suggestion ou pour signaler d'éventuels problèmes. Comment lire cet hypertexte? Vous cherchiez des écrits du Duc de La Rochefoucauld, et vous avez découvert ce document. Il contient les 504 premières maximes de ce spirituel personnage (c'est qu'il a écrit d'autres maximes, ce gentilhomme). Vous pouvez lire les maximes dans l'ordre que leur avait donné l'auteur, mais, comme il admettait lui-même que cet ordre était en partie légataire du hasard, nous avons trouvé bon d'y faire des pistes, pour la plupart thématiques, afin que votre lecture soit encore plus agréable. Un thème vous intéresse? Une idée vous intrigue? Laissez-vous guider par les liens disséminés dans les maximes. Si vous tenez absolument à revenir où vous étiez, vous n'avez qu'à cliquer sur "précédent" dans votre logiciel de navigation. Vous vous retrouvez soudainement à l'aphorisme 476 alors que vous venez à peine d'entamer votre lecture? Ne vous en faites pas. Ce texte de La Rochefoucauld est assez ludique et votre esprit assez pénétrant pour reprendre la lecture n'importe où: vous n'êtes pas plongés dans le système hégélien, ni dans un manuel de construction! Pour plus d'informations sur le Duc de La Rochefoucauld lui-même, vous pouvez consulter ce site Internet: http://agora.qc.ca/encyclopedie/index.nsf/Impression/La_Rochefoucauld Autres précisions: Les hyperliens de cette couleur et de cette couleur sont des hyperliens thématiques forts (l'aphorisme suivant sera fortement lié thématiquement au mot souligné); Les hyperliens de cette couleur sont des hyperliens thématiques faibles ou analogiques (leur rapport avec le lien pointé est indirect ou se fait par analogie); Les hyperliens de cette couleur et représentés par une étoile * mènent à des précisions langagières (liens thématiques menant à des définitions) ou à des informations supplémentaires susceptibles d'éclairer la compréhension des maximes; Pour des précisions sur les différents types de liens, il est recommandé de consulter un document intitulé Mutations de l'expression philosophique en milieu incontrôlable. Ce texte est en évolution constante, aussi ne sera-t-il jamais complété. Les améliorations possibles sont innombrables.. Pour revenir au début du document, cliquez ici.
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